D’églises d’exception en ruines de caractère et de vieux logis en vallée troglodytique, le tuffeau s’épanouit sur tous les tons dans ce coin de Touraine qui en met plein la vue.
ITINERAIRE
Kilométrage au départ de Tours : environ 90 km
Principaux sites du circuit :
L’Ile-Bouchard (prieuré Saint-Léonard, église Saint-Gilles).
Avon-les-Roches (église Notre-Dame, cimetière franco-belge, site des Roches-Tranchelion).
Crissay-sur-Manse (bourg).
Saint-Epain (bourg, vallée de Courtineau)
9h30
En voiture ! Avec les beaux jours enfin revenus, pas de temps à perdre pour prendre la clé des champs. Ah ! quel bonheur de s’oxygéner à nouveau dans de doux horizons. Cap au sud donc, pour une échappée belle d’une pleine journée dans une Touraine du Bouchardais trop peu connue, parfaite pour musarder.
Direction Azay-le-Rideau d’où, au sommet de la route partant pour Chinon, on suivra la direction de L’Ile-Bouchard, la D757 traversant en quasi-ligne droite les désertiques landes du Ruchard. Un quart d’heure plus tard, vous voilà dans ce paisible chef-lieu de canton qui se déploye en deux quartiers de part et d’autre de la Vienne, le bel hôtel de ville se situant sur l’île qui en est le trait d’union.
10h30
En guise de prélude à la visite de la célèbre église Saint-Gilles, nous vous proposons, côté sud, de vous régaler des premières vieilles pierres de cette fugue patrimoniale avec les superbes vestiges du prieuré Saint-Léonard. La visite s’impose dans ce site en accès libre, situé au pied du coteau où s’élève le très kitsch château du Temple, qui appartint à Nana Mouskouri. Du prieuré élevé au XIe siècle par le seigneur Bouchard III, ne subsiste qu’un déambulatoire à trois absidioles qui entoure une abside à cinq arcades élancées, en plein cintre. Lesquelles arcades retombent sur de grosses colonnes qui offrent, pour la Touraine, l’ensemble le plus complet de chapiteaux romans relatant les principaux épisodes du Nouveau Testament.
11h
Passée cette mise en bouche de pur tuffeau, place à des pierres de légende. Au-delà du pont, tout droit, la jolie rue de la Liberté vous conduit sur le parvis de l’église Saint-Gilles, que visitent annuellement quelque 70 000 à 80 000 personnes, à en croire Gaëtan Tronchot en sa librairie Notre-Dame située à deux » Je vous salue Marie ” de ce lieu de culte auquel sont rattachés les » faits mystérieux de L’Ile-Bouchard « . Lesquels nous ramènent à ces jours de décembre 1947 où le pays vécut des heures insurrectionnelles. « Dites aux petits enfants de prier pour la France car elle est en grand danger », aurait notamment dit la Vierge à quatre fillettes du cru. Une apparition qui, entre le 8 et 14 décembre, se serait produite dix fois, l’Eglise ayant attendu 2001 pour autoriser les pèlerinages liés à ces apparitions, ceux du 8 décembre, du 15 août et du premier dimanche de mai déplaçant des milliers de pèlerins, d’autant plus que la messe télévisée du 1er janvier 2012 fut dite dans cette église.
Avant de visiter l’église, on se doit d’écouter, juste en face, à l’Accueil Notre-Dame, la longue évocation filmée de ces apparitions, de la bouche même de Jacqueline Aubry, la plus âgée des quatre fillettes y racontant, quelque soixante ans plus tard, comment apparut » la belle dame « , qu’elle décrit avec » des yeux d’un bleu qu’on ne voit pas sur terre » et » une chevelure blonde qui descendait jusqu’aux genoux « .
Au sortir de la salle de projection, la librairie Notre-Dame permet d’attendre la fin de la messe quotidienne, autour de midi, pour entrer dans l’église classée et y découvrir la » grotte de la Vierge et de l’ange « , élevée à l’emplacement de ces » faits » qui font de L’Ile-Bouchard le Lourdes de la Touraine.
12h30
Douze heure trente, dernier carat, si l’on veut improviser un pique-nique autour des bonnes cochonnailles de la charcuterie Arnoult qui, depuis quatre générations, fait de l’art avec du cochon. Le plus beau site de casse-croûte se situe sur l’herbe des bords des Vienne, en amont du pont, face à l’Auberge de l’Ile, la meilleure table du canton offrant l’opportunité d’un déjeuner gastronomique d’un parfait rapport plaisir/prix, la cuisine de Pierre Koniecko venant même d’être gratifiée par le Michelin d’un Bib gourmand.
14h
Pas le temps de digérer. Un café et nous voilà prêts à baguenauder. En reprenant la route d’Azay, on obliquera à quatre kilomètres en direction d’Avon-les-Roches, par une petite route d’où l’on aperçoit une belle loge de vigne millésimée 1900. Au niveau du calvaire au Christ argenté, on continue donc sur le paisible village d’Avon, qui mérite l’arrêt face à sa mairie. D’une part pour le magnifique porche de son église romane, percé d’un arc en plein cintre qui retombe sur des colonnettes sculptées, et d’autre part pour son café de La Roche Avonaise. Sa charmante salle à l’ancienne est dotée d’un vieux baby-foot et son avenante terrasse donne déjà soif d’un chinon du cru.
15h
Et on repart ! En haut de la côte, la route des Roches-Tranchelion vous amène devant le cimetière. Lequel vaut qu’on en pousse la porte, la curiosité du lieu étant un monument aux morts belges. Un lion sculpté se dresse devant le médaillon à l’effigie du roi Albert Ier, apposé sur la stèle, au verso de laquelle un texte souligne qu’elle a été érigée » à la mémoire des soldats belges décédés au camp du Ruchard « . Tout autour du monument, s’alignent 76 tombes uniformes élevés à la mémoire de soldats belges décédés au Ruchard, après y avoir été soignés de retour du front, pendant la Grande Guerre.
15h30
La délicieuse petite route musarde ensuite jusqu’au pittoresque hameau des Roches-Tranchelion, qu’on se doit d’abord de découvrir en version panoramique, à hauteur du lavoir baigné par la Manse. Quel tableau ! avec en haut du coteau à gauche les ruines de sa forteresse féodale, et à droite, ceux de la collégiale Renaissance, source de plusieurs légendes. L’une d’elles raconte qu’un seigneur de Tranchelion, apprenant à son retour de croisade l’infidélité de sa femme, enferma l’amant avec un lion rapporté de son expédition et que le coupable eut raison du félin. Un chemin mène à ce site d’atmosphère, ces majestueux vestiges offrant une remarquable façade : au sommet de l’arcade ogivale, trône le Père éternel, qui bénit de la main droite et tient un globe de la gauche. De ce squelette de pierre, subsiste aussi une tourelle polygonale aux multiples graffitis et au sommet de laquelle mènent quatre-vingt-trois marches, les dernières, quelque peu périlleuses, donnant accès à un » repose-fesses » d’où la vue s’ouvre sur un large horizon.
Couronnant le beau bâti de ce hameau aux murets de pierre, ces ruines d’exception méritent qu’on se retourne sur elles, des hauteurs de la route qui s’en va sur Crissay, à proximité de ses anciens remparts, en plein champ. Arrivé à l’intersection, en voiture, c’est par la droite que l’on rejoint » l’un des plus beaux villages de France « .
16h
Crissay sur-Manse… et sur tuffeau ! Ou mieux qu’ici s’extasier sur cette pierre de Touraine sur laquelle s’extasia Jules Romain : » Cette pierre est blanche et reste blanche. Elle reflète la lumière tourangelle et y ajoute. Elle donne au site une allégresse qu’on ne retrouve que bien loin dans le Sud. » Une noble pierre qu’on retrouve en façade de l’auberge locale, située à l’entrée du village, près du parking. Sa parfaite terrasse réveille la soif : une Turone bien fraîche ou un chardonnay du cru, sur une tartine de chèvre, lui aussi du pays.
De pedibus, entrons dans ce tableau de tuffeau à ciel ouvert. De la maison dite » de justice » à celle dite » de Charles VII « , en passant par la haute maison aux trois grandes lucarnes, la seule place centrale de ce bourg-musée donne déjà le ton : Crissay ou la Renaissance comme si vous y étiez. Foisonnant de vieux logis restaurés dans les règles de l’art, ses quelques rues fleuries invitent à une enchanteresse flânerie en tuffeau majeur. De tourelles en fenêtres à meneaux, on se laisse porter par tant de beauté, l’ancienne cité fortifiée étant couronnée par les murs épais de son château médiéval à demi ruiné, voisin d’anciennes carrières, dites du “ Camp des Prussiens « , qui s’installèrent là en 1871, et visibles au bout de la rue du Château. Face à l’église du XVe, dotée d’un enfeu, d’un lavabo d’autel et d’une bannière de procession, le beau petit cimetière, riche d’une croix du XVe, offre de jolis points de vue sur le champêtre horizon dans lequel coule la Manse.
17h30
Une Manse qui, à quelques méandres en amont, arrose aussi Saint-Epain, l’étape suivante. Cette vaste commune, l’une des plus vastes du département avec plus de 6000 hectares, justifie un court arrêt au coeur d’un bourg dont le cacher tient beaucoup à la haute porte occidentale de l’ancienne enceinte médiévale. Cette porte aux arcades en arc brisé s’ouvre en couloir sous un logis du XVe, cet ensemble étant flanqué d’une tour cylindrique. Juste à côté, l’église s’enorgueillit dans son choeur de stalles en bois sculptées de la Renaissance.
Dans le même axe, la maison à tourelle d’angle de la Grand-Rue arrête aussi le regard. C’est justement là, par la rue des Fontaines, qu’il faut prendre la route, trop discrètement signalée, de la vallée de Courtineau. Ponctuée de plusieurs moulins, elle longe la Manse sur fond de grasses prairies et de peupleraies, jusqu’aux quinze arches du viaduc de Besnault, Un monument de 31 m de haut où filent les TGV, à proximité de la serpentine route qui s’engouffre dans la minérale et bucolique vallée de Courtineau. Laquelle grimpe, descend, remonte… et invite à tourner la tête, côté tuffeau surtout, car s’il est un site en Touraine où ce calcaire se révèle dans tout son éclat, c’est bien celui-là, tant en version nature qu’en version habitat. Du simple caveau pour » mangement » entre copains au gîte » pure roche » de caractère, en passant par le rustique pied-à-terre et la résidence secondaire de caractère, voilà du » troglo » à gogo, sur quelque six kilomètres. Attention : à la seule intersection de la vallée, celle de Pont Goubault, prendre à gauche puis à droite.
Au-delà des caves demeurantes de tout type, la vallée recèle aussi de petits éléments de patrimoine, de vieux fours creusés dans le roc en puits, fontaines et lavoir. A fleur de rivière, la vallée a aussi ses moulins… et sa chapelle, elle aussi troglodytique. Souvent ouverte les après-midi des week-end, Notre-Dame-de-Lorette aurait été construite au Moyen-Age par un ermite, une légende voulant que Jeanne d’Arc, venant de Sainte-Catherine-de-Fierbois, s’y serait abritée d’une nuée, en 1429, avant de gagner Chinon pour y rencontrer le Dauphin. L’autoroute a depuis rencontré la vallée… et nous retrouvé à son issue la bonne vieille nationale 10 : retour à Tours… et gare aux radars de Chambray, car après du 45 km/h au compteur, et de retour dans la civilisation, on pourrait avoir envie d’appuyer sur le champignon…
Textes et Photos de Jean-Luc Péchinot