Les balades de Jean-Luc Péchinot
En selle ! En suivant le bucolique et romantique itinéraire de L’Indre à vélo, c’est une Touraine enchanteresse qui vous en met plein les yeux. De châteaux en troglos et de poires tapées en grolleau rosé, que de merveilles à butiner au fil de l’eau. Pourquoi pas le 25 mai ?
À la fois douce et sauvage, nonchalante au point qu’on la bat facilement à la course, n’est-elle pas la plus tourangelle des rivières ? L’Indre ! L’Indre charmante qui, venue du Berry de George Sand, arrose la Touraine de Balzac, dans cette vallée où elle “se roule avec des mouvements de serpent”. Autre chantre de cette “ceinture d’eau tombée du ciel”, Maurice Bedel se laissait ainsi séduire par cette “petite rivière qui n’a l’air de rien dans son nom sans éclat, qui n’a jamais arrêté d’invasion, qui n’a même pas ses crues sensationnelles. Petite rivière, étroite, dormante, longue, longue, fleurie de nénuphars, d’iris jaunes, n’en finissant pas de flâner dans les prés, longue comme un écheveau défait, jamais trouble, clair regard de jeune fille”. Ponctuée d’une soixantaine de moulins sur son cours tourangeau, cette serpentine rivière aux eaux vertes et aux berges ombragées prend assurément son temps, comme si elle avait décidé de côtoyer le plus de châteaux possible.
À Azay-le- Rideau, elle se laisse même emprisonner pour mieux servir d’écrin à cet éblouissant “diamant taillé à facettes, serti par l’Indre, monté sur pilotis, masque de fleurs…” qui fascina tant Balzac. Azay-le-Rideau… Quelle pureté ! Un pur joyau Renaissance, avec ses tourelles en encorbellement et son chemin de ronde sur mâchicoulis cernés, ses lucarnes sculptées et ses fenêtres à meneaux, son escalier monumental à rampes droites… et ce site d’une parfaite harmonie, le parc aux arbres centenaires ajoutant au charme de cette pièce maîtresse de l’imagerie châtelaine, sur laquelle s’extasient chaque année plus de 300 000 visiteurs.
Au-delà de cet incontournable chef d’oeuvre, Azay mérite quelques pas pour ses vieux logis et son église, dont le pignon carolingien est remarquable, mais surtout pour le si rafraîchissant site de son pont sur l’Indre, où s’inscrivent face au déversoir un moulin et de charmantes maisons. L’Indre hausse là le ton, mais à quelques brasses en aval, la revoilà sage comme une image, vagabondant jusqu’au prochain castel.
En l’occurrence, celui de l’Islette, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à son grand frère d’Azay. On est là face à un autre joyau de tuffeau et d’ardoise, flanqué de deux imposantes tours. Des pierres précieuses d’autant plus éclatantes qu’elles s’élèvent dans un site verdoyant d’une magistrale beauté, où l’Indre paresse sur fond d’arbres vénérables. Qu’il fait bon y jouer des rames ou boire un verre sur la terrasse du vieux moulin. Ici, le temps prend son temps. Un de ces lieux qui ont une âme. Connu pour avoir abrité les tumultueuses amours de Rodin et Camille Claudel. Laquelle y sculpta sa “Petite Châtelaine” en prenant pour modèle la petite-fille des propriétaires. “Vous ne pouvez vous figurer comme il fait bon à l’Islette… et c’est si joli là ! Si vous êtes gentil à tenir votre promesse, nous connaîtrons le paradis”, écrivait-elle à son Auguste, qui travailla là à son fameux Balzac.
Balzac… ou la gloire d’une Vallée du Lys dont Saché est le nombril : “J’ai vécu là les heures les plus solennelles de mon existence.” “Demandant des idées à la nuit et des mots au silence”, ce “galérien de plume et d’encre” y fit surgir maints personnages de sa “Comédie humaine”. Aujourd’hui propriété du conseil général, l’ancien château de Monsieur de Margonne est un attachant lieu de culte du “géant des lettres” : de portraits en manuscrits et de caricatures en statues, des centaines de pièces sont rassemblées dans cette maison d’écrivain, dont l’atmosphère reste d’époque. Même le célèbre papier peint “aux lions” est toujours là. Mais c’est bien dans la chambrette du romancier que l’émotion est la plus forte, devant ce petit lit d’alcôve près duquel il cisela avec son “Lys” “l’une des pierres les plus travaillées d’un édifice lentement et laborieusement construit”.
De manoirs en vieux logis, combien d’autres pierres de caractère au sein de cette vallée dont le plus beau site est peut-être celui des fameux “moulins de Balzac”, à Pont-de-Ruan. Aussi romanesque qu’au temps d’Honoré : “Figurez-vous trois moulins poses parmi des îles gracieusement découpées, couronnées de quelques bouquets d’arbres au milieu d’une prairie d’eau : quel autre nom donner à ces végétations aquatiques, si vivaces, si bien colorées, qui tapissent la rivière, surgissent au-dessus, ondulent avec elles, se laissent aller à ses caprices et se plient aux tempêtes de la rivière fouettée par la roue des moulins.” Celui accroché au pont se visite, restituant joliment des images de la meunerie d’antan.
Autres images fortes, à quelques méandres en aval, à l’orée d’Azay, avec un autre lieu de patrimoine. Celui des Goupillères, où trois fermes creusées dans la roche mettent en scène la vie troglodytique du prétendu “bon vieux temps”. Louable initiative que d’avoir tiré de l’ombre ces caves demeurantes, Louis-Marie Chardon ayant recréé grandeur nature, sur deux hectares, une captivante image d’Epinal de cette pittoresque ruralité. Du puits au four à pain et des ânes au cochon, rien n’y manque. Pas même le souterrain refuge. Dans l’ombre des châteaux, une autre facette de la Touraine typique, autour d’une architecture sans architecte, la pierre extraite de ces coteaux calcaires ayant justement été exploitée pour le noble bâti du “Pays des Rois”.
Maurice Dufresne, lui, fut un autre roi. Le roi des récupérateurs. Soixante ans durant, ce cordial humaniste constitua un véritable butin dont il devait faire un musée à la gloire de la mécanique. Sa prodigieuse collection en met plein la vue, sur quelque douze mille mètres carrés, dans le site de l’ancien Moulin à papier de Marnay, en aval d’Azay. Plus de cinq cents véhicules y ravivent la mémoire, de la calèche de Louis XVI à la Buick de Pétain, et jusqu’à l’avion construit par Blériot pour sa traversée de la Manche. Rayon curiosités, parmi d’innombrables, la guillotine livrée à la Révolution au département d’Indre-et-Loire, ou encore une série de têtes de guillotinés en cire. A couper le souffle… Passionnant voyage dans le temps, ce conservatoire mériterait d’être classé d’intérêt public tant il est l’un des rares lieux à offrir une vue panoramique sur un siècle et demi de progrès technique.
Un attrait de plus au sein d’une vallée dont la richesse est telle qu’elle a de quoi fixer un touriste au moins une semaine durant, le village voisin de Rivarennes méritant ainsi qu’on y découvre, dégustation à la clé, son charmant petit musée de la Poire tapée. Belle histoire et fameuse résurgence que celles de cette pourlècherie du cru, exportée il y a un siècle jusqu’en Suède et en Russie. A s’en pourlécher les badigoinces… Plein les yeux et plein la bouche, avec çà et là des vignerons d’un Touraine-Azay-le-rideau qui ont le coude alerte… On aura compris que ce balzacien “val d’amour” se révèle parfait pour baguenauder à vélo. Pédale douce au cœur de la plus symbolique des Touraine(s). Il suffit de se laisser glisser dans l’apaisant paysage de ce pays sage. A voir sans modération.
Balisé depuis l’été 2010, l’itinéraire de L’Indre à vélo couvre une centaine de kilomètres en Indre-et-Loire, en attendant son prolongement jusqu’à Châteauroux. Les faibles dénivelés de l’itinéraire se prêtent parfaitement à une équipée familiale. Compte-tenu des petites routes où peuvent aussi circuler des voitures, mieux vaut toutefois emprunter ce parcours avec des enfants de plus de 10 ans. Pas de restrictions, en tout cas, le dimanche 25 mai, puisque qu’une partie de ce circuit sera sécurisée dans le cadre de la nouvelle Echappée de l’Indre à vélo, organisée par l’Union cyclotouriste de Veigné, avec le concours des offices de tourisme du Val de l’Indre, du Pays d’Azay-le-Rideau, de Bléré et de la Touraine côté Sud. Une festive journée à la force des jarrets, trois parcours étant proposés. A chacun son braquet : le premier (16 km) au départ de Pont-de-Ruan, le deuxième (42 km) de Montbazon, le troisième (68 km) de Cormery. Trois départs en pelotons, toutes les dix minutes, entre 10h et 10h30, des minibus étant prévus pour transporter les sacs à dos jusqu’au lieu de pique-nique, à la vallée troglodytique des Goupillières, où la bonne odeur de la fouée sera forcément irresistible.